CONCLUSION

La première partie de ce mémoire aura permis de constater que les racines de la botanique sont très profondes chez Rousseau étant donné qu'elles s'enfonçent au coeur même de son enfance. A dix ans, auprès du pasteur Lambercier ses plus heureux souvenirs se rattachent au règne végétal. Il n'est que de penser à l'épisode du noyer de la terrasse ou au petit jardin que le jeune Jean-Jacques cultivait. Plus tard, devenu le protégé de madame de Warens, Rousseau sera initié, parfois bien malgré lui, à la botanique d'apothicaire. Il faut probablement rattacher au souvenir de cette période, sans doute la plus heureuse de sa vie, l'intérêt passionné que le philosophe de 50 ans manifestera spontanément pour la botanique, en 1762. Là peut-être se fonde aussi cette association des femmes et de la nature qui motivera ses passions et son écriture.

On a vu que, dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle, la mode est au rustique et à tout ce qui s'y rapporte. Si Rousseau n'est pas à l'origine de ce mouvement, il a, par contre, concrétisé le phénomène, en fixant les formes d'un genre nouveau: le roman rustique. Les sciences, et plus particulièrement les sciences naturelles dont la botanique est l'une des branches, entrent dans une période de bouillonnement de laquelle seront issues les sciences modernes telles que nous les connaissons encore aujourd'hui.

L'emploi du langage de la botanique dans l'écriture implique l'utilisation de ses avantages et de ses faiblesses. Le nom scientifique évite les ambiguïtés parce qu'il est dépouillé de connotations. Sa virginité sémantique sera exploitée par Rousseau qui y greffera ses souvenirs.

D'autre part, la botanique aura été pour l'auteur tourmenté des Dialogues une véritable panacée, qui lui aura permis de se consoler de son triste sort, de même qu'un argument pour sa défense, puisque celui qui s'adonne à l'étude des fleurs pour en faire des herbiers ne peut être un méchant homme. En analysant le processus du souvenir chez Rousseau, on a pu constater que la botanique avait un rôle qui, sans ètre fondamental, n'en était pas moins déterminant dans l'imaginaire de ce dernier. Ainsi, les liens qui trouvent leurs racines dans l'enfance de Rousseau permettent d'associer la botanique au thème des paradis perdus. Il s'agit de la représentation idéalisé d'un lieu duquel a chu Rousseau en sortant de son enfance. Encore plus troublante est la relation intime qui s'établit entre les fleurs et les femmes. L'étude des fleurs rappelle à Rousseau des femmes, dans un environnement végétal, et sans doute sont-ce ces ingrédients qui font de la botanique une médecine si puissante aux sentiments de persécution.

Enfin, il a été question de Rousseau vulgarisateur. On a découvert, non sans surprise, qu'il avait consulté de très nombreux livres de botanique, qu'il en faisait une lecture attentive tout en prenant des notes de façon soignée. De plus, les relations qu'il entretenait avec les plus grands savants de son temps, parmi lesquels Buffon, Daubenton, les Jussieu, Gagnebin de La Ferrière, Tschudi, prouvent que le calibre de ses connaissances était des plus élevés. Cela lui permettait de prendre position dans les débats scientifiques en cours, notamment en prenant la défense du système de Linné. Enfin, on sait que Rousseau a fait de nombreux herbiers, qu'il a fait un imposant travail de synonymie et qu'il a participé à quelques expéditions de botanique. Force est d'admettre que Rousseau était on ne peut plus qualifié pour s'adonner à la vulgarisation scientifique. Vers 1771, au sommet de sa passion, il entreprend les Lettres sur la botanique et probablement en même temps le Dictionnaire de botanique. On a vu, comment les premières s'organisent en fonction d'une complexité croissante des végétaux, ainsi qu'en fonction des saisons. Le texte, descriptif et personnalisé, s'accompagne d'une foule de termes techniques que Rousseau introduit de façon graduelle tout en les explicitant. Ces Lettres servaient peut-être à mettre au point un manuel d'initiation à la botanique qui aurait été organisé à peu près selon la même structure. Le Dictionnaire, quant à lui, devait sans doute servir de complément à ces lettres. En bonne voie, il est resté inachevé, et de nombreuses digressions malheureuses viennent entacher un ouvrage pourtant très valable.

La botanique est étroitement enchevètrée à toutes les autres passions de Rousseau, ce qui, d'un côté, complexifie son analyse, puisqu'il faut faire appel à toutes les données biographiques et littéraires disponibles, mais qui, d'un autre côté, contribue à faciliter son étude à cause des liens associatifs qui peuvent être mis à jour. En ce qui regarde les souvenirs, la botanique occupe une place privilégié, puisqu'elle sert de déclencheur affectif. Sa puissance évocatrice sera telle qu'elle sera presqu'une drogue pour Rousseau.

Il serait certainement possible d'approfondir le sujet, qui a des répercussions sur l'ensemble de l'oeuvre de Rousseau. Mais en France, une thèse d'état est en marche, portant sur la botanique chez Rousseau, ce qui exclut toute suite à ce mémoire. Il est a espérer que la thèse en question fera le tour du sujet de façon exhaustive et définitive.

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