Comptes rendus

par Sylvain Rheault

Article publié dans Discours social, Volume 6, no 3/4, 1994, p.229-232.


Klinkenberg, Jean-Marie
Le Sens rhétorique
Essais de sémantique littéraire
Éditions du GREF, Toronto, 1990, 237 pages.

Sciences des langues et sciences des lettres: existe-t-il un terrain d'entente qui permettrait aux secondes de bénéficier de la rigueur scientifique des premières? Peut-on faire de la littérarité un matériau analysable, voire décomposable?

L'auteur s'engage dans une quête de la spécificité littéraire, ou plutôt des moyens de la saisir et, remaniant des articles déjà publiés, nous invite à le suivre dans ses évaluations des méthodes d'analyse existantes et dans les voies qu'il se propose de suivre.

Rappelons que M. Klinkenberg a été l'un des piliers des discussions communes et des recherches du groupe æ, recherches qui ont donné deux ouvrages majeurs : Rhétorique générale et Rhétorique de la poésie.

L'auteur commence par brosser un historique de la situation des études portant sur le texte, en particulier de la stylistique, et de leurs tentatives souvent infructueuses de se fonder comme sciences des textes. On en vient, avec l'auteur, à constater l'échec d'une stylistique qui se donnerait pour but de mesurer la littérarité. Elle ne parvient pas à bien préciser l'objet de son étude ni à se donner une méthode de travail exempte d'interprétations personnelles. Avec la stylistique, la littérarité reste quelque chose que l'on explique difficilement et qui conserve toute son aura de mystère.

Puis, s'offre l'alternative de la démarche poétique. Jusqu'à maintenant, le lecteur s'est vu entraîné doucement sur cette voie, à force d'arguments logiques et de preuves, et il peut maintenant envisager la poétique comme une solution possible. Mais il s'agit de mettre à jour la littérarité même d'un texte, et cette tâche demande un minimum d'outils. La poétique ne suffit pas, ou pas encore à la tâche. L'auteur propose de tirer profit des apports de la rhétorique. Science du discours, la rhétorique possède déjà une riche taxinomie, une démarche analytique éprouvée, et, depuis la Rhétorique générale du groupe æ, elle a été décomposée en opérations et en articulations, éléments présentés comme les plus petits du discours. C'est en adaptant ces concepts à la poétique qu'il serait possible d'analyser scientifiquement la littérarité du texte, objet d'étude de la poétique. L'intérêt pour la poétique de profiter de ces recherches est évident et l'auteur nous convainc de tenter la gageure. Toute cette partie, bien développée, constitue une excellente introduction aux recherches touchant la rhétorique.

Mais pour faire entrer les études littéraires dans le domaine de la scientificité, il faut, comme pour les autres sciences, mettre au point des modèles et définir des procédures critériées. Dans la deuxième partie de l'ouvrage, l'auteur passe en revue les outils d'analyse disponibles et leur validité pour l'analyse du texte.

À partir de quoi mettre au point un modèle? S'offre d'abord la notion d'écart. L'important n'étant pas d'obtenir un écart mesurable ou quantifiable, mais une théorie fondatrice à partir de laquelle il sera possible d'élaborer. En effet, l'auteur fait observer que, comme pour les mathématiques, il est possible de développer tout un système après avoir établi un nombre restreint de postulats.

Si établir un écart d'après une norme peut se faire assez facilement, il n'en est pas de même pour l'établissement de la norme. Il s'agit d'avoir une base d'analyse qui puisse résister à la multiplicité des interprétations personnelles. Ensuite, il restera à faire fonctionner ce modèle. Pour ce faire, l'auteur s'appuie sur la notion d'isotopie. On peut identifier l'isotopie dans un texte au moyen de l'itération d'un élément de sens (sème). Cela permet de définir sur quel plan se joue un texte. Plusieurs isotopies peuvent être présentes à la fois, ce qui est déjà un indice de littérarité, par opposition à un texte neutre ou scientifique où une seule isotopie est présente. Mais qu'arrive-t-il lorsqu'il y a rapprochement de deux éléments dont les sèmes sont incompatibles, comme dans la poésie surréaliste? Il y a alors apparition d'une allotopie, une région de sens étrangère qui se crée par confrontation de sèmes opposés. Cela entraîne un réajustment de la lecture, d'où émergence d'une figure. Cette opération, où l'on modifie deux termes inconciliables afin de les rapprocher, s'appelle la médiation.

Toutefois l'utilisation de ces concepts reste problématique. Par exemple, comment établir avec certitude le domaine de l'isotopie? Ne s'agit-il pas là d'une donnée trop variable pour en faire une étude rigoureuse? Bien sûr, il faut chercher à quoi s'indexent les unités linguistiques, à partir de leurs sèmes communs. Mais ce qui semblait une voie assez prometteuse semble encore une démarche soumise aux différentes interprétations des individus. Il s'agirait donc maintenant de limiter l'étendue des sens possibles.

Un modèle est donné, il s'agit de l'écart. Pour l'appliquer, on recourt à l'isotopie, la médiation permettant les passages entre les isotopies, qu'elles soient compatibles ou non. Mais même armé de tous ces outils, une figure aussi simple que la synecdoque reste difficile à interpréter. C'est qu'on ne parvient pas encore à expliquer pourquoi certaines formes ou certains sens semblent privilégiés. Il faut alors avoir recours à une instance de cohésion et d'organisation, qu'il appelle l'encyclopédie. C'est une somme de propositions acceptées par la communauté linguistique. Une théorie sémantique ne peut se permettre d'ignorer cette notion fondatrice d'une isotopie de la collectivité.

La scientificité de l'étude du texte s'établirait donc sur le modèle de l'écart, en ayant recours aux données de l'isotopie. Mais ces données ne peuvent être analysées sans avoir été préalablement actualisées au moyen de l'encyclopédie.

Tout le travail de structuration de l'encyclopédie reste encore à faire.


Klein-Lataud, Christine
Précis des figures de style
Éditions du GREF, Toronto, 1991, 144 pages.

Un "précis", nous rappelle l'auteur en introduction, est un "exposé précis et succinct qui s'en tient à l'essentiel" (p.1). La gageure était double, puisqu'il s'agissait autant de mettre au point un manuel, élaboré à partir des expériences d'enseignement que de faire une réflexion sur les figures de style, éclairant les figures traditionnelles à l'aide des recherches modernes. Un bref aperçu des développements de la rhétorique précède la présentation des figures.

Évitant les désordres d'une présentation dans l'ordre alphabétique, l'auteur a tenté de disposer les figures de façon raisonnée. Le précis deviendrait ainsi une espèce de clé des procédés dont on peut se servir pour identifier les figures présentes dans un texte. Mais pour reconnaître des figures sans se tromper, il faut faire comme le botaniste qui s'est construit un système de classement à partir des caractérisques des plantes. Il faut avoir élaboré un système de classement cohérent et unique réservé aux figures. Dans le précis, une attention particulière a été portée sur la classification, qui a "été le sujet de bien des tourments" (p.2). C'est sur cette classification surtout que nous aimerions nous arrêter puisque qu'elle constitue, si l'on peut dire, la clé de voûte de l'ouvrage.

Les catégories de base, ce sont les niveaux linguistiques traditionnels. Pour distribuer les figures, on distingue donc:
- Les figures jouant sur la forme des mots.
- Les figures jouant sur l'ordre des mots.
- Les figures jouant sur le sens.
- Les figures de pensée.

Ces dernières regroupent les figures du discours, comme l'allusion ou l'ironie, trop complexes pour trouver place dans les premières catégories. L'auteur nous fait aussi remarquer des recoupements possibles pour certaines figures, comme la contrepèterie, classée dans la forme, mais qui pourrait aussi, pourquoi pas, trouver place dans le sens. Pourquoi ces recoupements? Les catégories sont-elles trop étroites pour des figures trop complexes? Comment contourner ce problème? Procéder par renvois peut-être? Mais c'est là une tâche énorme.

On pourrait reprocher aux catégories d'en rester à un premier niveau. En effet, une fois lancé sur une piste, si on veut en savoir plus, il faut fouiller à fond tout le chapitre. C'est d'ailleurs le cheminement que recommande l'auteur: tout lire d'une traite "comme les touristes consciencieux dans les musées trop riches" (p.3).

Prenons par exemple les opérations d'adjonction, de suppression et de substitution du groupe æ. Elles ne sont présentes que dans une seule catégorie. Pourtant, le groupe æ les avait bien établies pour l'ensemble du système. Ces trois opérations auraient pu servir de niveau supplémentaire et constant pour subdiviser chacun des chapitres.

Et s'il fallait classer de nouvelles figures? Les catégories proposées résisteraient-elles aux exigences de nouveaux procédés un peu particuliers? Par exemple, où prendrait place le vouvoiement, tel qu'employé par Michel Butor dans La Modification.

Mais la grande qualité de ce précis est qu'on peut s'en servir pour identifier la plupart des figures de style dans un texte et ainsi amorcer un début de réflexion. Chacune des figures est définie clairement et illustrée, permettant une initiation sans douleur à la terminologie rhétorique. Il y a là une rigueur pédagogique inconstestable.

Reste qu'il existe entre ce précis et, par exemple, l'ouvrage de Morier la même divergence d'objectif qu'entre un précis de grammaire et le Bon Usage.